Les chats volants d’Ypres
Dès le haut Moyen Âge, les chats ont souvent été méprisés et martyrisés. Déjà chez les Gaulois, ils étaient victimes de sacrifices rituels druidiques liés à la fécondité. Plus tard, le chat noir sera un indice de sorcellerie et sera brûlé avec sa maîtresse à l’issue des procès. On reproche en outre à ces animaux leur sexualité débridée et leur tapage nocturne en février-mars.
À Ypres, les témoignages d’amusements barbares, dont ces pauvres créatures étaient les souffre-douleurs, remontent à l’époque mérovingienne. Et on a conservé nombre de témoignages de chats brûlés vifs, dans toute l’Europe, la deuxième semaine de Carême qui, dans la chrétienté, correspond – hasard ou non – au moment des Grands Feux. En 962, le comte de Flandre, Baudouin II, donne l’ordre aux habitants d’Ypres de balancer un ou deux chats du haut des tours du château, avant d’instaurer une «kermesse des chats» ou un «mercredi des chats», usage qui se répand dans tout l’Occident chrétien où, quand ils échappent à cette torture, ils sont noyés ou battus à mort.
À Ypres, depuis une ordonnance de 1476, le lancer des chats a lieu le jour de la kermesse, la deuxième semaine de Carême. La tradition se maintiendra jusqu’en 1823, avec quelques interruptions. Ainsi, en période d’occupation étrangère, comme celle des calvinistes gantois, de 1578 à 1620, la fête cessait. Il semble que le nombre de chats jetés n’est pas laissé au hasard. En période de difficultés, on se contente de jeter de la tour communale deux chats, contre trois en période normale. Un témoignage du XIXe siècle prétend que les chats ne mouraient pas toujours à l’atterrissage et s’échappaient parfois. C’était même le cas le plus fréquent, à en croire cette autre source sur les pratiques de ce divertissement au XVIIIe siècle :
« Au deuxième dimanche de Carême, les gens de la ville et des campagnes s’entassaient dans l’immense place que dominaient les Halles. C’était kermesse, et les milliers de badauds surexcités attendaient, le nez levé vers la tour des Halles… La foule poussait de lamentables, d’interminables miaulements ; oui, toute la ville d’Ypres miaulait infernalement dans tous les tons, et cette musique de sabbat s’entendait loin dans la plaine. En l’honneur de quoi et de qui cette cantate parodique? Mais du chat ! du pauvre minet que le bourreau tout en haut de la tour balançait au-dessus du vide. Qu’allait- il lui advenir? Voyez… Lancé vigoureusement dans les airs, il accomplissait de fantastiques cabrioles et redressements, avant de disparaître dans les remous de la foule – un océan déchaîné –, cette foule soudainement hurlante. Bientôt, le chat remontait à la surface et c’était la grande bagarre ! Car en ceci consistait le jeu : attraper le chat tombé du ciel. »
Si la bête mourait rarement, elle était souvent blessée. Le héros de la kermesse était celui qui avait pu l’attraper, au prix parfois de vilaines plaies. Les soins étaient gratuits…
Après 125 ans d’interruption, en raison d’une intervention de la « Ligue de la protection des Animaux », Ypres a renoué avec la tradition en 1938. Depuis, le «fou de la ville» jette à nouveau de petits chats du haut de la tour, mais cette fois en peluche, à la joie des milliers de spectateurs qui attendent impatiemment l’occasion d’aller toucher la prime réservée à chaque heureux détenteur. Cette célèbre fête, connue dans le monde entier et qui attire notamment beaucoup de touristes japonais, n’a lieu que tous les trois ans.
À Verviers, la tradition prit la forme d’une curieuse expérience, en 1641 : un chat fut purgé, pour le rendre moins lourd, et attaché à quatre vessies gonflées d’air censées le faire voler. L’animal fut d’abord conduit en grande pompe jusqu’au sommet de la tour d’une église, puis lancé. Il retomba lamentablement au sol en poussant d’affreux cris qui épouvantèrent la foule. Ceux qui s’amusaient ainsi à faire voler les chats étaient appelés Voleû d’tchèt.