Le 24 novembre 1883, en France, dans la préfecture de la Seine, un événement d’importance allait se produire. Confronté à l’amoncellement des déchets dans les rues de Paris, une ville qui comptait déjà deux millions d’habitants à l’époque, le préfet prit une mesure décisive.
Ce jour-là, un arrêté préfectoral fut signé, visant à réguler l’évacuation des ordures ménagères. Cette mesure imposait aux propriétaires parisiens de fournir à chacun de leurs locataires un récipient spécifiquement destiné à leurs déchets domestiques. Ce récipient, décrit en détail dans l’arrêté, devait être en bois, doublé à l’intérieur de fer blanc afin d’éviter toute fuite indésirable. De plus, ces récipients devaient être capables de contenir des cendres chaudes sans risque d’incendie.
Les dimensions des récipients furent précisément spécifiées, variant de 40 à 120 litres, et ne pesant pas plus de 10 kg à vide. Ils devaient également être munis d’un couvercle et d’une anse. Cette décision, qui nécessita trois mois de délibérations houleuses au sein des commissions de travail, fut fortement contestée par la presse, qui y voyait une collusion avec les fabricants de ces récipients. Les propriétaires estimaient qu’il s’agissait d’une nouvelle charge, les concierges anticipaient un travail supplémentaire, et les chiffonniers voyaient dans cette mesure une menace pour leur gagne-pain.
En vertu de cet arrêté, les déchets devaient être triés dans trois types de récipients spécifiques. Un “récipient commun” pour les “résidus de ménage” et les matières putrescibles, un “récipient spécial” pour les débris de vaisselle, le verre, la poterie, les coquilles d’huîtres et de moules, et enfin un récipient dédié aux papiers et chiffons.
Malgré les nombreuses oppositions, le vote en faveur de cette nouvelle obligation fut finalement remporté en février 1884, donnant ainsi force de loi à cette mesure. Les débuts furent difficiles, mais ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que la bataille contre les déchets fut véritablement gagnée. Progressivement, le reste du département de la Seine, puis les autres villes de France, et bientôt d’Europe et du monde, adoptèrent cette pratique.
Il est intéressant de noter que le préfet à l’origine de cette initiative, bien qu’il soit retourné à jamais dans l’anonymat de l’histoire, avait une vie riche et éminente. Né à Caen en Normandie en 1831, il avait brillamment poursuivi des études, obtenu un doctorat en droit, et enseigné dans plusieurs universités telles que Caen, Grenoble et Toulouse. Il avait ensuite embrassé une carrière de juriste, de diplomate et de haut fonctionnaire. Malheureusement, seule une information persiste de son existence : son prénom, Eugène, et son nom devenu célèbre, Poubelle.
Les récipients qu’il a introduits, les “poubelles”, ont même été ajoutés au dictionnaire dès 1890, témoignant ainsi de l’impact durable de cette mesure historique
L’insalubrité des villes au Moyen Âge
L’insalubrité des villes au Moyen Âge était une réalité préoccupante, et cela se reflétait même dans les noms de certaines rues et places françaises. Des appellations telles que les “ruelles Sales” ou le “Bourbier” à Rouen, ou encore la “place Marcadal” à Lourdes, dont le nom dérivait de “Marcadaladosa” signifiant quartier fangeux, témoignaient de l’association entre la saleté et les risques liés à ces amas d’ordures.
Pourtant, malgré cette conscience des dangers, la gestion de la salubrité ne semblait pas préoccuper grand monde. Les habitants se débarrassaient de leurs déchets en les abandonnant dans des coins désignés, tels que des espaces vides, des limites entre propriétés, des terrains vagues ou des ruines. Ainsi, la saleté semblait appeler davantage de saleté, créant un cercle vicieux.
De plus, les citadins devaient cohabiter avec les animaux. Des animaux de passage tels que les caprins et les ovins, mais aussi des animaux errants, des volailles et même des porcs élevés à l’intérieur des villes. Cette cohabitation était à la fois visuellement dérangeante, bruyante et peu hygiénique, engendrant des risques d’épidémies. Certains étaient préoccupés et dérangés par cette présence animale et souhaitaient les éloigner des villes. Cependant, cela se heurtait aux intérêts et aux difficultés d’application, surtout lorsque les détenteurs d’animaux appartenaient à la haute société.
Les porcs avaient toutefois un rôle particulier à jouer dans cette situation. Ils étaient capables d’engloutir les immondices, agissant ainsi comme des nettoyeurs ou des éboueurs. Les paysans eux-mêmes se réjouissaient de ces dépôts de déchets, qu’ils récupéraient pour les transformer en engrais.
La pollution touchait également l’eau, car d’une part, les eaux usées étaient évacuées naturellement sur les pavés ou dans les rivières, et d’autre part, les habitants jetaient leurs déchets dans les cours d’eau, même si certains citadins buvaient l’eau de la Seine.
L’insalubrité des villes au Moyen Âge était donc un problème sérieux et généralisé. Les rues sales, les déchets abandonnés, la présence d’animaux et la pollution de l’eau créaient un environnement malsain propice à la propagation des maladies. Cependant, il est important de noter que malgré ces conditions difficiles, des efforts pour améliorer la salubrité des villes ont été entrepris au fil du temps, marquant ainsi le début d’une prise de conscience croissante de l’importance de l’hygiène urbaine.
Quelques dates :
– En 1184, Philippe Auguste souhaite lutter contre la marée montante des ordures dans Paris en commandant le pavage des rues de la cité. Quatre cents ans plus tard, seulement la moitié des rues est pavée.
• En 1348, une ordonnance du prévôt de Paris prononce pour la première fois des amendes contre le défaut de nettoiement.
• Louis XII décide, en 1506, que la royauté se chargera du ramassage des ordures et de leur évacuation. À la taxe prévue pour ce service s’ajoute celle destinée à financer l’éclairage axial des rues. La taxe prend le nom de «taxe des boues et des lanternes». L’hostilité générale enterra cette ordonnance pour longtemps.
• En 1750, Rousseau quitte la Capitale en la saluant par un «Adieu, ville de boue !». Il est vrai que Paris était connu depuis longtemps sous ce vocable puisque Lutèce [viendrait] du latin lutum qui signifie boue.
• Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, Louis Sébastien Mercier, véritable reporter parisien de l’époque, signe de belles formules dans son Tableau de Paris, exemples : «O, superbe ville ! Que d’horreurs dégoûtantes sont cachées dans tes murailles !» Ou encore, «En général le Parisien vit dans la crasse».
Début de la collecte des ordures ménagères en 1884
• En mars 1883 est créée une taxe spécifique «balayage». Au même moment, les découvertes de Pasteur se révèlent décisives dans l’histoire de l’hygiène. C’est aussi la période des grands travaux, entrepris par Haussmann, qui transforment le paysage urbain parisien.